Entre parole et vision

 

Pour commencer j'aimerais rappeler ce que Pierre lui-même disait à propos de son travail sur les Psaumes :

 

« En lisant les psaumes j'ai souvent constaté qu'une phrase, un seul verset m'inspirait à le visualiser par une image ou à le personnifier.

Très souvent, en effet, un verset devient pour moi un personnage ; il s'incarne pour ainsi dire. Par exemple : « Des profondeurs, je crie vers toi, Seigneur… » (psaume 129/h130) n'est plus une phrase, une plainte, un cri au secours ; cette phrase est devenue l'homme lui-même qui crie de toutes ses forces sa détresse, son angoisse.»

 

« L'Homme lui-même », c'est ce personnage que l'on retrouve tout au long des dessins de Pierre sur les psaumes : personnage austère, dramatique,... mais parfois aussi paisible ou émerveillé.

Ce type d'homme n'existe pas dans la réalité. Il n'a pas été dessiné d'après modèle vivant ! Personne n'a jamais vu un homme vêtu de la sorte…

C'est une image-symbole.

 

Pourtant Pierre disait : « Ce personnage m'habite ! » 

Alors je ne crois pas exagéré de dire que ce personnage, c'est Pierre lui-même, ou en quelque sorte son double, ... en train de vivre le psaume, parce que, dans sa conscience, c'est l'expérience même du psalmiste qui se renouvelle.

D'ailleurs il précise encore : « ...c'est l'histoire de l'homme et de son temps qui fait le psalmiste. C'est donc l'histoire de chacun d'entre nous qui continue de faire le psaume aujourd'hui. »

 

Pierre aimait rappeler, à la suite du théologien juif Martin Buber, que

«le langage biblique garde le caractère dialoguant de la réalité vivante.»

  « Cela veut dire – ajoutait-il - que la voix qui, dans le psaume, fait par exemple cette prière : « A cause de ton amour, Seigneur, sauve-nous ! » cette voix prend soin d'écouter ensuite en silence, pour savoir si elle est exaucée. C'est là que s'effectue le dialogue entre la parole et le silence. »

 

Et là, Pierre insistait en ajoutant : :

« La parole mène au silence comme elle peut mener à l'image. »

La parole mène au silence parce que le silence mène à la vision intérieure que l'artiste projette dans son dessin.

C'est ainsi que nous découvrons dans la collection  sur les psaumes un autre type de dessins : des dessins qui font écho aux représentations mentales des visions intérieures du dessinateur.

On se trompe lorsqu'on dit que ces dessins-là sont abstraits, par opposition aux représentations du personnage dont Pierre se disait « habité ». On se trompe parce que ces représentations sont au contraire très concrètes ; elles sont animées du concret de ses visions intérieures.

C'est pourquoi nous avons intitulé cette rencontre : « Entre parole et vision ».

 

J'ai souvent pensé que Pierre dessinait un peu comme un compositeur écrit de la musique. On ne sait pas par quel mystère ou quelle magie, tel son ou telle idée surgit dans l'esprit de l'artiste, de préférence à une autre. Ainsi, on ne sait pas comment le dessinateur organise son écoute intérieure, ni quelle lumière ou quelle obscurité vont tour à tour rythmer l'image et former la trame dans laquelle le regard du spectateur est invité à entrer.

On ne sait pas comment l'écoute produit la vision.

Mais on sait que le travail de l'artiste s'effectue dans l'instant de son écoute et que lorsque nous, spectateurs, regardons le dessin de sa vision, nous pénétrons dans le temps et l'espace du psalmiste tels que l'artiste les a ressentis et projetés sur le papier.

 

Pierre a écrit que pour lui, « dans la Bible, parole et image dialoguent, s'appellent l'une l'autre.»

Et il aimait rappeler ce que Roland Barthes a dit, lors de sa leçon inaugurale au Collège de France, il y a plus de 40 ans : « J'aimerais que la parole et l'écoute… soient semblables aux allées et venues d'un enfant qui joue autour de sa mère, qui s'éloigne puis retourne vers elle pour lui rapporter un caillou, un brin de laine, dessinant de la sorte autour d'un centre paisible toute une aire de jeux à l'intérieur de laquelle le caillou, la laine importe finalement moins que le don plein de zèle qui en est fait. »

Pour Pierre, c'était là une description de rêve, rêve qui décrivait profondément sa pratique personnelle des psaumes, rêve où le jeu de son crayon tenait le rôle naturel de l'enfant...

 

Chacun aura donc compris, je l'espère, que les dessins de Pierre ne sont pas des illustrations des psaumes, mais des interprétations.

Comme un chanteur qui, en chantant les psaumes, revêt leur texte de sa propre mélodie, le dessinateur en dessinant trace l'expérience même qui a donné naissance au texte ; avec des moyens qui lui sont propres, il entre dans la situation décrite par le texte, pour que jaillisse le langage de sa propre vision..

 

Voilà ce que je désirais dire de Pierre dessinateur inspiré par les psaumes.

Merci de m'avoir écoutée...

 

Pour retrouver l'article de Ouest France sur ces rencontres, cliquez ici

 

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